Entre réalité et mythe
La Henriade est une œuvre de jeunesse de Voltaire qu'il défendra, modèlera et remodèlera toute sa vie. (Publié en neuf chants en 1723 sous le tire de "La Ligue", puis en lui adjoignant cinq ans plus tard un dixième chant lui donnant son titre définitif). Très tôt, Voltaire se préoccupe de voir son texte illustré, allant jusqu'à imaginer les estampes et commander le travail à des graveurs renommés. Tout au long des XVIIIe et XIXe siècle, le succès de cette poésie épique ne se démentira pas et de multiples éditions verront le jour… Dans la popularité actuelle dont jouit Henri IV, Voltaire joue assurément un élément moteur. Il est le révélateur de la légende, il instaure le mythe.
La Henriade : Je hais ... je veux punir / Carle Vernet / s. d. / Pireneas
Le thème de la Henriade est le siège de Paris commencé par Henri III de Valois et l'avènement au trône du premier des Bourbons. L'événement central est la bataille d'Ivry qui décide du sort de la France et de la maison royale. Le poème épique de Voltaire, en dix chants, est fondé sur une histoire connue, basé sur un ensemble de faits historiques avérés. Se mêlent ensuite les fictions.
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Premier chant
Devant Paris, Henri III de Valois envoie le roi de Navarre chercher du secours en Angleterre. La réconciliation entre le roi de France et Henri de Navarre est une vérité historique. Leur installation à Saint-Cloud aux portes de Paris est également la réalité.
Par contre, demander à Navarre de partir en Angleterre est une pure invention. Henri III de France n'avait aucun intérêt à éloigner trop longtemps le Bourbon du théâtre des opérations. Il doit le garder sous son contrôle et s'assurer ainsi de sa loyauté. Pour autant, il est vrai que des émissaires seront envoyés en Angleterre à cette époque. C'est Duplessis-Mornay fidèle compagnon d'Henri III de Navarre qui sera mandaté pour négocier avec la reine.
La Henriade : Vôtre sort, ai ye [je] dit ... / Carle Vernet / s. d. / Pireneas
Chemin faisant vers l'Angleterre, le roi de Navarre est pris dans une tempête l'obligeant de relâcher dans une île. Il rencontre un vieil homme qui lui prédit son changement de religion et son avènement au trône. Tout cela n'est que pure fiction.
Cependant, il ne faut pas mésestimer l'importance des prédicateurs de tout poil qui étaient (ou sont toujours ?) dans les sphères du pouvoir. Rappelons que Nostradamus dont le nom reste connu au XXIe siècle avait prophétisé en 1565 voyant le jeune Henri dans le plus simple appareil, que cet adolescent serait un jour roi de France.
Présage qui a l'époque tenait de la gageure tant il fallait de concours de circonstances pour que la couronne tombe en déshérence.
La Henriade : Il quitte avec regret ce vieillard vertueux : Des pleurs, en l'embrassant, coulerent de ses yeux / Carle Vernet / s. d. / Pireneas
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Deuxième chant
La scène totalement fictive n'est pas pour autant dénuée de sens historique. Henri III de Navarre n'a jamais rencontré la reine Elisabeth Ière. Par contre, une relation cordiale entre les deux personnages par émissaires interposés existait bien. La reine d'Angleterre soutenant financièrement Henri de Navarre dans son combat contre le parti catholique, lui enverra 4000 soldats anglais combattre à ses côtés.
La Henriade : Reine, l'excès des maux où la France est livrée, Est d'autant plus affreux, que leur Source est Sacrée / Carle Vernet / s. d. / Pireneas
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Septième chant : Saint-Louis entraîne Henri IV dans les enfers
L'apparition de Saint-Louis, dans l'écrit de Voltaire, n'est pas innocente. C'est lui qui légitime Henri de Bourbon. Henri IV, vague cousin des Valois régnant, devient en vertu de la loi salique, roi de France à la suite d'une série assez incroyable de déshérences. Des quatre fils vivants d'Henri II, trois héritent du trône (François II, Charles IX et Henri III), aucun n'a d'héritier mâle. Il faut remonter l'arbre généalogique jusqu'à Louis IX (Saint-Louis, 1214-1270) pour trouver une branche cadette encore existante. L'unique représentant Henri III de Navarre, connaît bien la cour pour y avoir longtemps vécu, mais reste cependant un provincial et un inconnu.
La Henriade : Louis guidoit ses pas : ciel ! qu'est-ce que je voi ? L'assassin de Valois ! ce monstre devant moi. (Henriade, chant 7) /
Jean-Michel Moreau / s. d. / Pireneas
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Huitième chant
La bataille d'Ivry
"Vous êtes nés Français, et je suis votre roi ; / Voilà nos ennemis, marchez et suivez-moi / Ne perdez point de vue, au fort de la tempête, / Ce panache éclatant qui flotte sur ma tête ; / Vous le verrez toujours au chemin de l'honneur" (Henriade chant VII, vers 147-151).
Par ces vers Voltaire immortalise la harangue à ses troupes. Lui qui a lu Hardouin de Péréfixe, premier biographe du roi après sa mort, écrit en 1661 (il parle d'Henri) : "Il se fit donner son habillement de tête, sur la pointe duquel il y avait un panache de trois plumes blanches et, l'ayant pris, avant de baisser la visière, il dit à son escadron : "Mes compagnons, si vous courez aujourd'hui ma fortune, je cours aussi la vôtre ; je veux vaincre ou mourir avec vous. Gardez bien vos rangs, je vous prie : si la chaleur du combat vous les fait quitter, pensez aussitôt au ralliement, c'est le gain de la bataille. Vous le ferez là-haut, à main droite, et si vous perdez enseignes, cornettes et guidons, ne perdez point de vue mon panache blanc : vous le trouverez toujours au chemin de l'honneur et de la victoire".
Le graveur Eisen pour l'édition de 1751 s'en donne à cœur joie... plus le récit de la Henriade se déroule, plus le plumet du casque d'Henri IV grandit jusqu'à devenir démesuré !
La Henriade : "Vous êtes nés François, et je suis votre Roi : Voilà nos ennemies, marchez et suivez moi !" Henr. Ch. VIII / Eisen, Charles (1720-1778) / Pireneas
Le combat singulier entre d'Egmont et Henri IV.
A Ivry, Henri IV se révèle un fin stratège. En infériorité numérique, il choisit le terrain et fait combattre ses adversaires le soleil dans les yeux et contre le vent renvoyant la fumée des canons. Il se révèle être un valeureux et courageux guerrier en combattant aux avant-postes. La victoire est chèrement acquise, des milliers de morts jonchent le champ de bataille. Ce haut fait d'armes restera dans les annales car le roi prendra l'ascendant définitivement sur son adversaire. Littérateurs et graveurs multiplieront les scènes autour de cette bataille.
La Henriade : Ce panache éclatant qui flotte sur ma tête, vous le verrez toujours au chemin de l'honneur
Carle Vernet / Delpech (lithographe) / Pireneas
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Neuvième chant : le repos du guerrier
Sur cette gravure de Moreau le Jeune, alors que le siège de Paris va reprendre incessamment, le fidèle Duplessis-Mornay vient chercher son roi et capitaine d'armée qui s'est éclipsé pour passer un peu de bon temps avec sa maîtresse : Gabrielle d'Estrées.
D'Estrée à son amant prodiguoit ses apas; Il languissoit près d'elle, il brûloit dans ses bras (Henriade, chant 9) / Jean-Michel Moreau / Pireneas
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Dixième chant : Entrée d'Henri IV dans Paris.
Saint-Louis tenant un rameau d'olivier survole le souverain qui entre dans la capitale. Le roi est accueilli par des Parisiens prosternés ou en liesse.
Pour l'occasion, Henri IV monte un cheval de parade (le fameux cheval blanc). Quel saut dans le temps ! Voltaire place cette entrée dans la continuité de la bataille d'Ivry... Or, si siège il y a (on est en 1590), Henri IV doit le lever en fin d'été et subir un échec. Le roi ne rentrera triomphalement dans la capitale que beaucoup plus tard, le 22 mars 1594.